La conférence qui bouscule nos certitudes : repenser notre rôle de designer à travers les imaginaires
Le 17 avril, j’étais à Rennes pour assister à une conférence percutante : « Interroger nos imaginaires : passage obligé pour une économie vraiment juste et durable », avec Jean-Patrick Péché (Designer industriel et enseignant à Polytechnique, ENSCI et emlyon) et David Morin Ulman (Docteur en sociologie, enseignant-chercheur et directeur de création), organisée par l’eclozr. J’y suis allée avec une question en tête : Comment, en tant que designer, puis-je contribuer à façonner un monde numérique plus responsable ? La réponse s’est révélée bien plus profonde et passionnante que ce que j’avais imaginé.
Le design comme outil d’habitabilité
Dès les premières minutes, un cadre fort a été posé :
« Le design sert à rendre le monde plus habitable. »
Cette définition m’a immédiatement parlé. Chaque jour, je conçois des produits et services fonctionnels, certes, mais aussi porteurs de sens. Jean-Patrick Péché a rappelé une démarche simple en apparence, mais puissante : « Je dis quoi, à qui et comment ? » Une question essentielle lorsqu’on veut inscrire notre travail dans une logique éthique et durable.
Les imaginaires : ce que nous achetons vraiment
Ce qui m’a particulièrement marquée, c’est la manière dont les imaginaires façonnent la valeur perçue. Le secteur du luxe en est un exemple frappant : seulement 8 % du prix d’un produit correspond à sa valeur matérielle. Le reste ? Une construction symbolique, narrative, collective. L’automobile illustre bien ce phénomène. Renault revisite la R5, la 4L, la Clio comme l’avait fait Fiat en relançant la mythique Fiat 500 (Un véritable succès). Ces modèles activent un imaginaire collectif puissant : celui de la liberté de mouvement individuelle. On comprend alors que le design ne se limite pas à l’objet, il est aussi un levier pour nourrir les récits que les utilisateurs veulent s’approprier.
En tant que designer voici la question qui me taraude : Quels sont les communs numériques que nous sommes en train de créer aujourd’hui ? Car comme l’ont souligné les conférenciers, chaque époque façonne ses propres « communs formels ».

Une responsabilité partagée : designer les futurs possibles
Le rôle du designer ne peut se résumer à une quête de simplicité ou d’efficacité. Il s’agit aussi de penser en collectif, en lien avec les sociologues, économistes, philosophes. Le design devient un outil d’exploration pluridisciplinaire. Une approche qui fait écho à ma pratique : créer des interfaces inclusives nécessite bien plus que des wireframes, cela demande un véritable travail d’ancrage culturel.
Et dans le monde de l’entreprise ? Combien de projets échouent, non à cause de problèmes techniques, mais faute d’un imaginaire suffisamment fort pour mobiliser, inspirer, faire sens ? C’est ici que le design fiction pourrait jouer un rôle clé. Comme le rappelle un article d’Usbek & Rica :
« Le design fiction valorise les imaginaires comme un capital extrêmement précieux des collectifs. »
L’urgence de ralentir… pour mieux imaginer
Aujourd’hui, le design est encore trop souvent cantonné à l’exécution. Les contraintes (temps, budget, ROI…) étouffent la phase de réflexion. Et pourtant, sans exploration des possibles, comment imaginer un futur différent ?
Les conférenciers ont évoqué une idée très forte : « Faire une psychanalyse de l’entreprise. » Trop peu d’organisations connaissent ou racontent vraiment leur histoire. Or, comment bâtir une vision durable sans comprendre d’où l’on vient ?
Avec l’accélération technologique, le risque est grand : produire plus vite, mais sans boussole. Quels imaginaires véhiculons-nous à travers les outils que nous concevons ? Prenons-nous encore le temps de les interroger ?
Imaginer d’autres futurs : notre responsabilité en tant que designers
Notre responsabilité est double :
- Déconstruire les récits dominants qui perpétuent des modèles dépassés ;
- Faire émerger de nouveaux imaginaires, porteurs de justice sociale et environnementale.
Cette conférence m’a rappelé que notre métier va bien au-delà de la création d’expériences agréables. Il s’agit de questionner les imaginaires, les déconstruire, les réinventer.